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V - ALBA
ADN

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 Article publié le 5 novembre 2023.

oOo

Avec la biographie, il s’agit de fournir, au cours de tel écrit, les notables éléments qui marquent le fil d’une existence. Avec le biotexte, il s’agit de choisir, au cœur d’une telle vie, les précis éléments qui obéissent à certaines règles du texte en fabrique. J. Ricardou, Le théâtre des métamorphoses.

…quand tu vois arriver un comte et une comtesse dans une 4L, même si elle n’a pas été fabriquée à Valladolid, tu te mets à douter et c’est ce que Joaquín était en train de pratiquer, le doute, socratique ou cartésien, j’en sais rien, mais ça se voyait sur sa figure et Violette et moi échangions des regards qui n’avaient rien à voir avec la philosophie. Nous étions d’abord descendus au moulin, à l’endroit même de la confluence, Violette n’ayant pas les ressources nécessaires pour monter jusqu’à la route. En bas nous attendaient les deux tantes et Léona était déjà dans leurs jupons, tout excitée parce qu’elle avait lu Les malheurs de Sophie en bande dessinée. Joaquín était en haut, sur la route, et il attendait au moins une Bentley comme en possédaient les propriétaires de la contrée, il lui arrivait même de briquer et de conduire celle de Paquita qui entretenait d’excellents rapports avec l’Église, contrairement à ce qu’on pourrait croire en observant de près ou de loin les néons de son puticlub. Sans perdre plus de temps, on a embarqué dans la caisse de nos voisins, Léona sautant sur les genoux de Ben Balada assis à la place du mort, Octave au volant, avec casquette et chemise propre, car les Vermort étaient encore les patrons de l’épouse dont il avait divorcé pour épouser en justes noces républicaines ce Ben Balada qui aimait les enfants comme s’il n’en avait pas produit sur la scène de ses agitations sociales, que j’en savais moins que ça et que j’allais en savoir plus comme c’est déjà écrit dans le Grand Livre du Soleil, ya plus qu’à copier et le roman est fait comme un rat. Bref, on remontait en bagnole, tout ça à cause de Violette dont les pieds ne sont pas adaptés à ce qu’on leur demande de déplacer s’il s’agit de monter. Elle monte très peu. On peut dire qu’il ne lui arrive que très rarement de monter sur ses pieds. Encore faut-il savoir en témoigner. Là-haut, sur la route, à l’ombre d’un quatuor de pins qui avaient connu le feu dans un récent passé, Joaquín surveillait la route, vers le bas, car le comte et la comtesse viendraient d’Almería où leur avion (il n’est pas précisé s’il s’agissait d’un jet privé, mais vous savez déjà que non) avait posé son train sans encombre, si on en croyait Joaquín qui, au téléphone, se servait de Google pour traduire. La Puch, encore fumante, avait trouvé de l’ombre sous la roche qu’un figuier en pleine forme traversait vers le bas pour atteindre les abondantes eaux qui irriguent la terre andalouse de leur poésie arabe. Léona s’est juchée sur la selle de cuir véritable emprunté à une vachette marocaine au cours d’un périple dans les territoires des Béni-Snassen, entre autres ascendants présumés de Joaquín qui ne parlait d’ailleurs que de ceux-là s’il évoquait ses racines, comme si le sang bleu qui bullait dans ses veines n’avait pas acquis ses lettres de noblesse à ses yeux de connaisseurs en traditions nourricières arrosées de Machaquito et de larmes. Nous nous sommes exposés ensemble à l’ombre qui barrait la route d’un trait de plume tranquille et opiniâtre. Joaquín observait la vallée où se couchait depuis des siècles la vieille ville de Berja, grise de dépôt de minerai ancien et blanche dans ses joyeuses rues aux façades fleuries de rouge. Plus bas, la Veguilla de Cintas croulait sous le soleil. Ses chiens avaient l’air furieux, sans doute agacés par notre présence immobile. Für nichts gut

— Tu devrais t’acheter une longue-vue, Joaquín.

— J’en ai une.

— Pourquoi ne t’en sers-tu pas ?

— Ça me donne le vertige.

— Avant ou après la copita ?

Soudain, Joaquín leva un bras, signe qu’il fallait stopper, Léona se dressa sur la pointe de ses orteils qui ont toujours eu des airs de larve de hanneton, preuve, s’il en fallait une, qu’elle était la fille de sa mère, et moi-même je me grandis autant que je pus pour atteindre du regard les premiers lacets de la route quelques centaines de mètres plus bas. Les deux tantes s’accrochaient de tous leurs ongles à ma chemise, n’osant sortir de l’ombre de peur de griller sous le soleil comme deux feuilles déjà tombées de l’arbre. Joaquín se tourna vers nous, disant no avec la tête et les yeux, la bouche dit « c’est une vieille Rrrénaoult, je comprends pas qu’on ose encore se servir de ces vieilleries alors que l’Express est cent fois mieux, même si je préfère un bon vieux Mofletes, vous pouvez revenir dans l’ombre, il ne s’est rien passé » et tout le monde a reculé contre la roche qui nous parut fraîche comme un frigo qu’on ouvre. Seulement la 4L en question s’est arrêtée sur la route, juste devant nous, et Joaquín s’est tourné vers les deux tantes d’un air clairement interrogateur et les deux tantes se sont précipitées sur la route, ne craignant plus le jugement du soleil, et une tête moustachue est sortie de la portière de la 4L, côté chauffeur, et on a su que c’était le comte, tandis que la comtesse, maniant deux éventails sortis tout droit du mythe de la Convivencia, a surgi côté mort, pirouettant comme la danseuse dont elle portait la robe et les froufrous, se jetant aussitôt dans l’ombre où Violette ne savait plus où mettre ses pieds. C’était eux. Joaquín n’avait pas bougé de son poste d’observation. Les deux tantes distribuaient leurs bisous sans compter. La comtesse, si c’était elle mais j’en doutais encore vu la courbure de sa vieille échine semblable à une feuille de pita, se mit à explorer les joues de Léona avec sa bouche pincée en cul de poule, et Violette, à qui la roche dans son dos interdisait tout mouvement de recul, même si ça descendait un peu, me lança un regard de sainte qui a aperçu un zombie dans le lit entre elle et moi. Sur la route, le comte étreignait Joaquín comme un chat le rideau qu’il a envie de grimper. Je crois que j’ai bafouillé en recevant des attouchements buccaux tant sur les joues que sur le menton chaque fois que j’ai tenté une esquive, les Vermort étaient des gens à qui on n’échappe pas, ils possédaient une 4L équipée de phares antibrouillard empruntés à un Berliet, ils étaient heureux que les choses, comme ils les appelaient, tournent dans le sens que chacun avait pris, l’un déçu par le véhicule qui ne correspondait pas à sa vision britannique de la noblesse, un autre par la locomotion pénible et douloureuse qui affectaient ces deux vieillards, notamment la comtesse qui avait certes de beaux restes mais il n’en restait plus grand-chose à couvrir de sperme. Les deux tantes étaient aux anges comme deux communiantes qui veulent se marier tout de suite après l’ite missa est, Violette commençait à parler de ses pieds et Léona cachait les siens dans les cailloux que la nature cultive ici à la place de l’herbe, même si le mouton y trouve de quoi satisfaire ses besoins énergétiques en vue d’une saine reproduction à l’identique. Joaquín donna le signal de départ en actionnant son kick rebelle plus d’une fois avant la première explosion prometteuse et nous descendîmes, prîmes des chemins compliqués entre le río Chico et le río Grande, descendîmes encore dans cette géographie plus romanesque que fidèle à la réalité du terrain, puis les deux bagnoles et la Puch entrèrent dans l’ombre et cette fois nous descendîmes jusqu’à la maison d’en haut, c’est comme ça que je l’appelle depuis dix ans qu’elle n’est pas habitée, dis-je au comte qui s’appuyait sur mon épaule car, malgré une constitution légère, il avait tendance à dévaler la pente sans négociation prudente, des fois qu’il ait omis le rappel tétanos, avec toutes ces épines dressées comme dans une qasida

— Vous n’avez pas encore signé, me dit-on…

— Je ne vois aucune objection… Vous êtes le locataire de la maison d’en bas ?

(il connaissait le vocabulaire technique adapté aux lieux et je me demandais qui avait trahi, car j’étais l’inventeur de ces d’en-haut et d’en bas, mais les deux tantes n’avaient-elle pas eu le temps d’intégrer ma propre connaissance des lieux, surtout avec la complicité de Léona qui passait le meilleur de son temps à explorer cette possibilité d’un voisinage, même réduit à l’estive, capable de changer son existence de nonnette en aventure mystique ?)

— Je le suis. Depuis dix ans et un été quand celui-ci s’achèvera.

— L’accès n’est pas bien pratique.

— On monte ou on descend. On n’a pas d’autres choix. Rien à l’horizontale, sauf la sieste et l’amour…

— Oh l’amour moi vous savez…

Ça ne l’empêchera pas de signer. D’ailleurs s’il ne signait pas Joaquín se jetterait d’en-haut. Et je le recevrais, une fois de plus depuis dix ans, sur le cœur que j’ai particulièrement sensible quand il s’agit de prendre soin d’un ami aussi sincère et véritable que cet homme devenu noble depuis peu, ce qui me complique, mais Violette est toujours ravie de constater que « la vie n’a pas de fin »

— D’ailleurs il faudra que je signe pour vous aussi, haleta le comte dont la voix tremblait au rythme des reliefs du chemin

— Je ne crois pas que Joaquín pourra vous rembourser votre part de loyer

— Oh la la ! Ma part ! (ralentissant selon ce que ses forces lui commandent) Je l’ignorais moi-même, vous savez ? (un temps parce que je me suis transformé en silence) Vous savez de quoi je parle, monsieur… ?

— Tulipe…

— Ce n’était pas une question. (passant du coq à l’âne) Il me semble que mon cousin ne gère pas convenablement notre domaine… Qu’en pensez-vous, vous qui le connaissez depuis heu

— Dix ans et

— Certes ! Certes ! Dix ans. Dix ans de loyer. Sans ma signature. (là, on le sent un peu tendu, le comte) Maudit notaire espagnol ! Ils ne valent pas oh mais je

Ce n’est pas moi qui interromps cette conversation, laquelle est loin, n’est-ce pas, de relever de l’idiot plot ? On vient d’arriver, juste au-dessus de la toiture de tôle ondulée rouillée dans les rigoles et sans gouttières pour le chat. Encore deux mètres de dénivelé, le plafond y est bas, et on se retrouve avec les autres sur la terrasse de terre battue qui a reçu le soleil toute la journée, on se croirait chez un fondeur, plus loin le parasol paraît étroit, mais les deux locataires indésirables s’activent du porrón et du pain cette fois rompu, comme quoi j’exerce sur eux une influence agréable je dois l’avouer, il manque trois chaises, une pour le comte, qui n’ose plus poser ses pieds par terre, et deux pour Violette. Léona se passe de chaise, elle n’aime pas les chaises, la chaise pour elle est synonyme de cahier de vacances et de repas sans ketchup. Va-t-on évoquer autre chose que les questions de propriété telle que définie par le sang et les minutes ? Le poignet du comte, pour l’instant, s’emploie à incliner son verre dans le sens de sa bouche et la comtesse, toujours équipée de ses deux éventails, fait circuler ses parfums de Chanel et de glandes prise au piège des feux de l’été. Il n’y a pas de papiers sur la table. Ils sont dans la poche de Joaquín et les copies certifiées conformes dans celle du comte ou alors dans le sac à main en perles que la comtesse a soumis à la curiosité de Violette dans la limite toutefois d’un extérieur aux faces exactement semblables. Léona attend cette ouverture, ayant repéré la petite fermeture en or peut-être véritable, qui sait, à part Joaquín qui a profité d’une chute de la comtesse dans les asperges sauvages pour s’en assurer. Il en sait toujours plus que moi. Et ce que je ne sais pas est une équation à n inconnues, c’est dire si j’ai le niveau requis pour en trouver la dimension infernale en un acte et rideau !

— Il n’y a personne de malheureux ici, fait Octave à l’adresse de ce qu’il considère comme ses invités personnels

— Sauf Fredo quand il n’écrit pas, grince Violette entre ses dents

— Oh ! s’écrie la comtesse faussement amusée par ma rougeur faciale, j’espère qu’il est en plein travaux !

— Ainsi vous écrivez ? dit le comte. Mon ami Ben écrit lui aussi. Malheureusement…

— Oh ! N’en parlons pas, Fab, je t’en supplie !

— Nous avons tellement de choses à… et nous ne savons plus quoi en faire…

— Riches nous sommes d’aller l’un en Puch et l’autre en 4L

Joaquín a-t-il l’air heureux qu’Octave lui trouve ? Le lien de subordination qui lie ce dernier à cet enfant du pays soudainement élevé dans la hiérarchie des classes peut-il influer sur la capacité du bonheur à nous clore le caquet quand on a envie de dire des choses et qu’il ne faut pas les dire, en tout cas pas comme ça. Joaquín a beaucoup de choses à apprendre, surtout depuis qu’il est cousin de la noblesse française un temps couverte par les principes d’Al-àndalus, on en reparlera plus tard de la Narbonnaise semble-t-il me dire avec les yeux alors que les miens s’en prennent à la beauté finissante de la comtesse qui porte bien le décolleté sévillan et le peigne en os de saint Glinglin

— Nous avons fait venir notre voiture par le train, précise la comtesse en retenant les doigts de Violette. Elle est arrivée il y a une semaine, hein Fab ? Vous ne pouvez pas savoir ce que c’est de manquer de voiture pendant aussi longtemps

— Fab et Violette le savent, dit Joaquín en français car depuis le chapitre précédent il a trouvé le temps d’apprendre à le parler, faute sans doute de pouvoir l’écrire sans passer pour un Andalou aussi inculte que le désert de Tabernas où il ne sait plus quel acteur américain de renom international lui a signé un autographe qui n’a rien valu sur Vinted

— En parlant de signature, dit le comte que je soupçonne d’être là juste pour me faire chier, nous avons rendez-vous chez notre notaire pas plus tard que demain, mon cher cousin…

— J’ai déjà signé

— Dans ce cas j’irai seul, fait le comte comme si Joaquín venait de le toucher

— J’irai quand même, dit Joaquín, pour le plaisir…

— Le plaisir ? Mais de quel plaisir… ? Je vous ai déjà dit, mon cher cousin, que concernant les loyers payés par monsieur Tulipe, je tiens à ne plus en parler, je vous l’ai dit, m’avez-vous cru ? Je le répèterai devant le notaire qui fera ce qu’il faut faire pour

— Ne nous disputons pas maintenant, dit Joaquín en riant. Laissons ça pour le jour où il sera question de votre cercueil, cher cousin…

Humour que les deux tantes reçurent sur leurs peaux à peine tannée comme des gouttes d’huile bouillante jaillies de la paella en phase un de son élaboration, ils se tenaient tout raides sur leurs chaises, ce qui me fait penser que Violette n’était pas assise sur deux chaises, comme d’habitude, mais sur un cageot renversé, un solide cageot à oranges chouravé par un copain Gitan (le cageot étant plein à ce moment-là) qui l’a donné à Joaquín pour le fixer sur le porte-bagages de la Puch puis que Joaquín a proposé à ses locataires en attendant de dénicher les deux chaises sans lesquelles Violette se tient debout, ce qui finit par fatiguer ses jambes et surtout ceux qui sont assis, car dans ces moments de fatigue elle souffre tellement qu’elle ne peut plus s’empêcher de parler, parler, parler, comme dit le poète, ce qui, pour l’heure, fatigue le comte qui perd patience et pose ses fesses étriquées sur une des cuisses de la comtesse qui se met à souffrir à son tour, mais celle-là n’en conçoit pas un baratin qui n’a rien à voir avec le thème du jour : la signature du contrat en faveur des deux tantes et celle qui ornera le mien avec dix ans de rétroactivité, Joaquín, homme d’honneur, étant à la recherche d’un moyen de rembourser ce qu’il doit au comte qui, présentement, consent à sourire suite à la blague un peu trop familière que Joaquín vient de lui asséner sans en retourner la peau comme on fait avec les figues de Barbarie

— Vous voulez dire, mon cher cousin, que vous hériterez vraisemblablement du château et de ses dépendances, de ses terres, de ses traditions (que vous apprendrez à connaître très vite car je vous sais intelligent et prompt à résoudre une équation quelles que soient le nombre de ses inconnues), mon fils…

Moment de suspension des composants de l’air sous le parasol dont l’ombre ne couvre pas l’ensemble des participants à ce débat impromptu alors qu’on n’a pas encore mangé

— Mon fils n’est pas en mesure de me succéder, finit le comte dans un râle

Ça jette un froid, les râles, de la bouche d’un mort comme d’un vivant, un râle ça vous congèle sur place même la plus chaude des relations humaines et celle que nous entretenions ici, tissée de solides brins car nous étions tous dans le même bateau, bailleurs et locataires, relevait clairement de la compression nécessaire à la production de froid, sans inconnue autre que l’entropie sous-jacente comme de juste

— Vous avez un fils ? demande Violette qui se désintéresse en même temps des petites perles, les doigts cachectiques de la comtesse continuant d’en contrôler les agissements possibles

— Certes, fit le comte et personne ne broncha à propos de cette certitude qui manquait de corps mais qui promettait ou menaçait d’en imposer un tôt ou tard et mieux valait tard que

Le soleil faiblissait. Une toile flottait maintenant entre le parasol et l’arbre sous lequel on ne savait pas trop ce qui y gisait depuis des générations ou plus, qui sait ce que les habitants sortent de la maison et ne jettent pas plus loin que le premier arbre du jardin, si c’est un jardin, cette terre informe et jalouse de ses fruits ? On est redescendu avec Violette qui se retenait à mes épaules, relevant son cul comme si cette simple posture pouvait lui épargner un envol à ras de terre, Léona courait devant, gigotant comme si elle avait appris des choses aujourd’hui et qu’elle ne savait pas encore comment s’en servir pour augmenter son pouvoir sur les êtres condamnés au moins le temps de sa jeunesse à la conserver dans les meilleures conditions d’éducation et d’hygiène possibles. Mon cerveau ne trouverait pas la tranquillité indispensable à la pratique de la fiction inspirée, il y avait longtemps que je ne m’en souciais plus, du moins en apparence, je veux dire dans l’apparence que je me voyais, je savais bien qu’au fond de moi mon âme était en train de creuser sa tombe et qu’un jour prochain elle remonterait à la surface pour m’entendre lui confirmer mes goûts en matière de pierre tombale. Sans le temps, un homme ne trouve pas de raison de s’ennuyer ni des lieux ni des autres et de ce qu’ils suggèrent comme poésie et roman à la fois. Mais le sommeil n’est pas l’éternité. Nous n’entrâmes point. Nous attendîmes la nuit, presque sans paroles mais avec la musique du vieux walkman que Léona donnait à écouter à ses personnages, assise en tailleur parmi d’autres déchets de l’existence, tu crois que le comte est venu pour nous emmerder ?

— J’en sais rien, ma mie. J’avais jamais vu un comte de ma vie. Je ne m’étais même jamais demandé à quoi ça ressemble ni à quoi ça sert. J’ai toujours été séduit par la possibilité de raconter des histoires sans passer pour un vantard ou au pire pour un menteur.

— Tu ne sais même pas comment on fait pour ne pas ennuyer les gens

— Oh toi et ton Ricardou

— J’y pense ! J’ai oublié mon Théâtre chez nos amis d’en-haut

— Tu es montée là-haut avec ce… cette… mais pourquoi ?

— Demande à ma poche.

Aussi vrai que j’y demande jamais rien à la poche de Violette Nixe, pas plus qu’à la braguette de Panurge. Je ne demande rien à personne, sauf que le comte va être sacrément déçu ou mortifié d’apprendre que Joaquín et moi n’avons signé aucun contrat, sinon j’aurais su toutes ces choses dix ans avant qu’elles me tombent dessus, la noblesse et tous ces trucs qui n’appartiennent pas à mon existence de fils de la terre et de ses usines. Violette y pense en même temps que moi, peut-être même avec un temps d’avance, on s’est tellement attaché à cette terre, on veut mourir dedans, pas dessus comme tout le monde.

 — Ça va nous foutre un sacré ramdam, dit-elle voyant sa petite jouer avec un autre théâtre où les animaux sont doués de la parole et en savent aussi long que nous sur le bien et le mal et toutes ces choses qu’on n’a pas demandé à recevoir à Noël —et bien sûr tu ne vois pas comment ça va finir… pour nous…

— Joaquín s’est toujours méfié des étrangers, les forasteros comme les autres. Et voilà qu’il loue cette choza de misère à deux types qui se sont mariés par amour. Pendant un moment j’ai cru qu’il était devenu pédé ou qu’il l’a toujours été depuis au moins dix ans sans que je m’en soucie ! Mais la question n’est pas là, ma mie :

— Le château. (un temps) Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fils qui peut pas hériter… ?

— Tu te souviens du rêve que je t’ai raconté ?

— Tu m’en racontes tellement, mon pauvre, que j’ai perdu la page

— C’était par une profonde nuit…

— C’était pendant l’horreur…

— Non, pas d’horreur. Tout me semblait infini. J’avais le sentiment de ne jamais pouvoir atteindre aucun des lieux dont les ombres nocturnes s’offraient à moi

— …j’oubliais que tu dormais… continue

— Avoir le sentiment de ne pouvoir jamais marcher sur la Lune est un sentiment tellement ordinaire et logique que ça ne m’a jamais encouragé au suicide. Mais cette nuit-là, les moindres taillis étaient impossibles à atteindre, le château reculait devant moi ou bien je n’avançais pas

— …tu n’avançais pas…

— Un extraterrestre

— Quel extraterrestre, macarel

 !

 

 

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