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Article publié le 29 octobre 2023. oOo Je me dépouille du vieil homme, Me débarrasse du passé, De mon cheval, de mon royaume, De mes manuscrits amassés…
C’est plus facile de le dire Que de le faire, croyez m’en, Irai-je encore à présent d’ire En ire sans rire autrement ?
Toutes les nuits, je cauchemarde, Ce n’est pas une rareté Que de rencontrer la Camarde, Et ses ribleurs2 pleins de gaîté.
Je n’ai pas connu la disette, Les gerçures, les sales draps, Mais un revenant du musette, De la musique entre ses bras.
J’ai vu, dit-il, dans les bastringues, Des morts, des vivants enlacés, Les vivants requinquent leurs fringues, Les morts ont leurs habits froissés.
Cessez de chanter qu’à mon âge -Je ne suis pas si vieux que ça- On se réfrène, on se ménage, Plus de métier, de canapsa3 !
On tète, on mâchouille, on flânoche -Couche-toi tôt, lève-toi tard, Plus de veilles, de médianoches4, De petits matins de fêtard…
J’ai un sacré coup de fourchette, Et sachez que je ne bâtis Pas à sec. Des nabots m’achètent Mon inextinguible appétit.
J’ai des murs sur la promenade, Murs, vitres, vitrines, vitraux, Passants pressés, arlequinades, Filles pincées dans leur fourreau…
Comme ceux qui suent, qui ahanent, Moi, plumitif, j’ai mes tourments, À califourchon sur mon âne, Je m’enfonce dans un roman
Tel Stevenson dans les Cévennes. J’écris de verve sur le tas, Réjoui d’être toujours en veine, Je perle5 dans mon galetas.
Que de lieues de méchantes sentes, J’y bricole femmes et vers, Les unes sont reconnaissantes, Les autres sont d’avis divers.
On me loue, me singe, m’imite, Je passe pour un parangon, Mais connaissez-vous les limites Qui me font sortir hors des gonds ?
Qu’on m’apporte un bout de chandelle, Une plume et un encrier Qu’encor je la mette hors d’elle Et la contraigne à me prier.
Ma muse, ô ma lame pendante Accrochée à mon ceinturon, Me garde des meutes mordantes De loups, de lares, de larrons…
Je suis une fine gâchette, Je mouche une mèche à cent pas ; On fouille toutes les cachettes, Pourtant, on ne m’y trouve pas.
Je suis comme ma turlurette6, À cran, les nerfs à fleur de peau, Landerira, landerirette7… Que je regrette mon pipeau !
Je rejoins ceux qui vocifèrent, J’ai une vie de patachier, Tout cela commence à bien faire, Surtout à me faire chier.
La demoiselle a des caprices Comme un ciel entre gris et bleu, Ses prétendants surenchérissent À l’envi, à la queue leu leu.
C’est le Diable qui bat sa dame Et donne à sa fille un époux, Contre treize tombereaux d’âmes, De corps sans haleine et sans pouls.
Je mène une bande à la schlague, Mais elles parlent en ma faveur. Le croyez-vous ? C’est une blague ! Je suis un foutraque rêveur.
Ma double collinette enfante Un si gros raton gras et gris Qu’on croit entendre une éléphante Dans les entrailles de Paris.
Et cette engeance qui pensotte Et qui descend jusqu’à mentir, Qui se fait de plus en plus sotte Jusqu‘à goûter au repentir.
Ce pivois a de la moustille, Un pétillement qui me plaît, Il me chatouille, me titille Joues, langue, luette, palais.
Que ma chanson vous aille à l’âme, Mais qu’elle vous y aille ou non, Je livre des livres aux flammes Et traîne un boulet de canon.
Toujours à l’affût des occases -La proie et son ombre au tournant. On dit qu’il me manque une case Comme à un carême-prenant.
Je n’entends que des phrases faites, Des détonations de bouchons, Je ne sais pas ce que l’on fête, Je me glisse dans mes torchons.
Robert VITTON, 2023
Notes
1 - Gambergeur : ce mot prend le sens de promeneur et de réfléchisseur. 2 - Ribleur : qui court la nuit comme les filous. 3 - Canapsa : havre-sac. Celui qui le porte est un canapsa. 4 -Médianoche : repas gras pris après minuit, se disait à la cour. Terme espagnol introduit par la reine Anne d’Autriche. Ailleurs, on disait réveillon. 5 - Perler : faire dans la perfection. 6 -Turlurette : espèce de guitare en usage au XIVe siècle. 7 - Landerirette : mot de fantaisie souvent joint à landerira dans les refrains.
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