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III - serena
L’enquête de Frank Chercos - chapitre XXIII - 28

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 Article publié le 23 juillet 2023.

oOo

Vous pensez bien que c’est à Octave Cérastin qu’on confia l’enlèvement et le transport du véritable Ben Balada. Le second véhicule était conduit par le directeur lui-même et le personnage qu’on avait grimé en Ben Balada approximatif n’était autre que son amant, bien qu’ils fussent tous deux mariés et pères. Une fois les deux véhicules séparés à la suite d’une manœuvre périlleuse au premier croisement rencontré selon le plan dit d’évasion, Octave réduisit la vitesse et s’engagea dans une route forestière qu’on se mit à traverser comme un couloir sans fin tellement il était bordé, des murs au plafond, de platanes en ruine et de végétation sauvage et imprévue. Ben Balada, couché sur la banquette dans la position du fœtus, demanda timidement s’il pouvait se redresser, car il avait mal au dos et craignait un blocage, ce qui compliquerait la suite de l’opération.

— J’espère qu’ils ont réussi, dit Octave.

— C’est à nous de réussir, fit Ben Balada sans changer sa position inconfortable et douloureuse. Puis-je…

— Si les autres comprennent, nous sommes fichus, c’est moi qui vous le dis.

— Vous voulez dire que…

— Ils penseront comme nous. Et ils auront vite fait de nous rattraper.

— Puis-je… ?

— Vous pouvez. Ça n’a plus d’importance. Veremos.

Ben Balada se cala dans le siège, usant de l’accoudoir central pour s’appuyer dessus et soulever un peu sa fesse. Il n’était pas aussi inquiet que ce bon vieux Cérastin, un ami de vingt ans, vous vous imaginez ? Il pouvait voir sa nuque têtue comme elle l’avait toujours été, il revoyait la porte se refermer sur elle et la serrure claquait comme le mouton et son acier. Octave le déposerait à la frontière. Les papiers étaient en règle. Le billet d’autocar. La poignée de billets. Le linge de rechange. Il avait prévu une suée carabinée. Le soleil n’était pas tendre de l’autre côté. Il reconnaîtrait les lieux malgré leur nouvel aspect. Il ne fuyait pas. Il rencontrerait quelqu’un. Tout était à refaire. Puis la voiture ralentit. On voyait les coquelicots du fossé et les cigües qui surgissaient du taillis.

— Il est malheureux, dit soudain Cérastin.

— Je sais.

Ben Balada savait. Encore heureux. Il en avait rendu quelques-uns heureux et d’autres malheureux. Lazare Cérastin lui avait toujours déplu. C’était un gamin pétri de jalousie. À un moment donné de l’instruction, on avait pensé qu’il était l’assassin du petit Vermort, le négrillon de service qui faisait pitié parce qu’il semblait appartenir à un autre monde, vous savez ce que c’est.

— Non, je ne sais pas, dit Cérastin qui maintenait la seconde presque au ralenti.

Ben Balada, depuis vingt ans qu’ils se connaissaient, avait quelquefois anticipé ce moment, la libération et la fuite organisée pour échapper à la vengeance toujours possible en cas de douleur impossible à raisonner. Octave le tuait ainsi. Et ce moment était peut-être arrivé. Il y avait pensé en entrant dans la voiture, voyant qu’Octave, à qui il venait de faire ses adieux dix minutes plus tôt, était au volant et que la doublure avait déjà pris place dans le second véhicule. Mais son cœur avait goûté aux délices de l’amitié et maintenant son esprit ne voulait pas croire que ça pouvait arriver. Pourtant, la voiture allait lentement, sans plus de ralentissement, certes, mais rien n’expliquait cette lenteur, peut-être cette attente. Ben Balada, sans frémir à cette idée, se prépara à la mort. Octave allait se venger. Son Lazare n’avait pas été accusé, seulement soupçonné, le temps de réfléchir à cette absurdité qui avait pourtant nom jalousie. Qui a tué Lazare de Vermort, huit ans, amoureux et heureux de l’être et d’être aimé de cette façon interdite par la tradition ou autre chose de moins facile à expliquer par l’image et le son des écrans médiatiques et éducatifs ? Je ne veux pas mourir comme ça après vingt ans d’enfermement tué par celui qui a donné un sens à l’amitié et toutes ces sortes de pensées qui vous viennent à l’esprit parce que vous allez mourir non point de faiblesse organique mais d’une balle qui prendra le temps de tout vous expliquer en détails, abolissant ainsi le temps qui n’a plus de sens quand on est réduit à un espace aussi étroit, il en savait déjà quelque chose, mais il n’en était pas mort ok je vais mourir et je sais pourquoi petit cul enculé sans amour et mots qui blessent cette petite âme rongée par la jalousie

— N’attendez plus, Octave. Faites ce que vous avez à faire. Je n’ai jamais cru à cette évasion légitime. Je n’ai d’ailleurs aucun projet…

— Bien sûr que vous en avez des projets ! N’en a-t-on pas parlé pendant vingt ans ?

— Comment va Lazare ?

— Je n’en sais rien, mon ami. Je suis un mauvais père. Je n’ai jamais compris. Voulez-vous m’épouser ?

 

 

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