[chez Le Grand Souffle] - François Richard - VIE, Livre II, "Ÿcra percer à nuit le monde".

Quand un enfant meurt, personne ne dira le contraire de « Il n’a plus d’avenir » ; on aura vite fait, jusqu’à l’oubli des restes, de l’affabuler d’un passé, celui-ci tenant tout entier dans son âge. Or, François Richard ne s’en tient pas à cette « logique » somme toute plus qu’humaine. Dans son colossal roman, qu’il intitule VIE, l’enfant ne meurt pas : il oublie : et c’est à partir de cette mémoire anéantie, par décret qu’il reste à envisager comme thèse, que la VIE se met à exister. En l’occurrence, dans une poignée de personnages qui ne doivent plus rien à ce qu’ils ont été. Tel est, me semble-t-il, au-delà de tout Temps, le fil d’Ariane du propos tenu avec force épisodes du premier tome de VIE.

D’emblée, ce deuxième tome déplace le champ narratif, encore prégnant dans le premier, dans le domaine plus aventurier de l’épopée, revêtant cette fois les habits de la Geste. Et en effet le texte se déploie en une longue et perpétuelle suite de laisses, mieux que paragraphes, car on y décèle les sonorités d’une nouvelle prosodie de la langue ici en usage, la nôtre. Les mots y ont des racines et en surface s’étendent les bras incommensurables d’une forêt qui n’est pas sans rappeler celle de la qasida.

Évidemment, nous n’en sommes qu’au tome II d’une saga et nous avons bien en tête que trois autres volumes se profilent à l’horizon éditorial. Pourquoi cette fragmentation ? Est-elle de nécessité éditoriale ? Ou la composition même de l’ensemble ne peut-elle pas être saisie sans cette lenteur qui n’est pas de l’attente, mais une autre idée du Temps, peut-être même une idée précise et vécue de ce qui n’est pas le Temps, mais le remplace. Si c’est le cas, on assiste là à l’émersion d’une invention. Nous finirons bien par le savoir…

En attendant, voici un roman qui se lit comme on se nourrit de ce que la vitre du train révèle de nuit et de perspectives. Les racines des mots, nouvelles et anciennes, s’y exercent comme s’il s’agissait de se préparer à en goûter pleinement l’excellence une fois dehors. Je dis dehors non seulement parce que ces personnages sortent bien de quelque part, même s’ils ne s’en souviennent pas et si nous n’avons aucun moyen de le savoir. Il y a quelque chose de véridique derrière cette construction en parpaings neufs et anti-enfermement.

Il est sans doute aussi important de souligner que c’est ici que s’est établi l’unisson, pour ne pas dire la sympathie, entre l’auteur et son éditeur. Pour qui a lu le premier tome, c’est clair. Et si jamais vous l’avez sous la main, lisez en fin de volume à quel point l’effort éditorial ne relève plus de la tendance des marchés du livre, mais d’une véritable rencontre-découverte dont la nature est d’essence humaine, entre la terre des racines et l’atmosphère des branches.

N’est-il pas question, comme le propose Henri Ner, de naviguer le plus longtemps possible entre la limite dure qu’impose la mort et les privations de toutes sortes que la société des hommes impose à l’individu ? Pour qui cherche ce qu’il sait ne pas se trouver simplement à la voile, voilà un bouquin qui a mûri entre ciel et terre et qui promet de ne pas s’achever en pirouette littéraire. Le Temps, si ce n’est pas lui, est tout contenu dans cette impatience !

Patrick Cintas