Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
  
Le calepin d'un fragmentiste - 13 - Une mort rêvée
Navigation
[E-mail]
 Article publié le 16 avril 2023.

oOo

0ù sont mon cosy-corner, ma commode, ma lampe Gallé, mes flacons Lalique ? Où sont ma table et ma chaise paillée ? Où sont mes livres, mes tableaux, mes bibelots, mes pipes, mes blagues, mes fume-cibiche, mon Zippo, mon Dupont, mon Silver Match, mon lance-flamme-tempête ? Où sont mes plumes ?

La chambre était vide.

Deux grandes et maigres chandelles pleuraient misère. Un cercueil à capitons lie-de-vin. J’étais dans du coton. Je n’emportais qu’un drap.

Un véritable défilé. Tous venaient rendre une dernière visite à ma dépouille.

 

Une comédienne faite en bonne  : En España, sólo son importantes los muertos. (Camilo José Cela)

Le traducteur  : En Espagne, seuls les morts sont importants.

Une grosse voix off : Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts. (Alphonse de Lamartine)

Un comédien fait en fêtard : La mort n’est que pour les médiocres. (Alfred Jarry)

Le traducteur : La mort n’est que pour les médiocres.

Le fêtard : J’arrive, Alfred !

Un comédien de très petite taille, d’une voix tonitruante : Que ta puissance, ô Mort est grande et admirable ! (Pierre de Ronsard)

Un comédien fait en squelette : Ô Mort, où est taoù est ta… Merde, merde et merde !

Ô Mort, où est ta victoire ? (Gérard de Nerval

Un évêque fait en comédien : Post mortem nihil est ipsaque mors nihil. (Sénèque)

Le traducteur : Après la mort, il n’y a rien et la mort elle-même n’est rien.

Le souffleur, les mains en porte-voix : Lê mormor ne ko ne ko ne konès‘ pâpâ làhon là hont’, mê zil pûpû orrribleman. (Tchétchétchékov)

Le traducteur : Les morts ne connaissent pas la honte, mais ils puent horriblement.

Shakespeare en chair et en os, une tête de mort contre sa poitrine : Words, words, words.

Le traducteur : Des morts, des morts, des morts.

Une voix off, fluette : La mort est le commencement de l’éternité.

Max… Max… Maximilien de Robespierre.

La troupe du théâtre de mon quartier à l’unisson : L’auteur dramatique fait des pièces comme un figuier fait des figues, c’est à dire sans rien y comprendre. (Marcel Pagnol)

Mon libraire : C’est scandaleux, scandaleux ! Votre chant du cygne, je veux dire votre ouvrage posthume… il a été retiré de la circulation. On en a vendu tout de même la bagatelle de huit millions en une seule matinée.

Moi : Je serai mon dernier lecteur !

Un locataire : Poète, poète, les vers auront raison de toi !

Le pompiste : Maintenant, il n’a plus besoin d’essence. Ça tombe sous les sens.

Le marchand de journaux : T’as d’la chanc’ d’avoir ta binette à la une, et d’une, et dans la télévise, et de deux, et au… L’articl’ d’la mort, l’déballag’, l’étalag’, les habits sal’s, la smala, la tribu, les témoignag’s… J’t’en foutrai…

La fleuriste : Ni fleurs, ni couronn’s ? C’est l’bouquet ! Y a des petit’s fleurs/Au, au bois d’Meudon/Au, au bois… Il paraît qu’c’était un mangeur d’ail.

L’ouvreuse : Nous perdons un précieux cinéphile. J’en suis malade. Toujours un mot gentil, une plaisanterie. Ras le bonbon de la Pie qui chante, il disait. Il n’oubliait jamais ses pognes, ça non. C’était un bon vivant, ça oui.

Moi : J’interviens dans mon rêve. J’aurais pu - ce n’est pas l’envie qui m’en manquait - faire susurrer à cette garce : C’était un bonbon vivant. Passons.

Une gamine à la boulangère : Maman, on est mort pour la vie ?

La mère : Récite au monsieur mort le poème du monsieur vivant.

L’enfant : Le caneton… Petite écoute donc/Les longs fusils qui tonnent/Je suis un caneton/Qui mourra cet automne/Quand viendront les chasseurs/ Avec leurs chiens qui veillent/ Je rejoindrai mes sœurs/Sur l’étang des merveilles/Je laisserai ma part/À ce vieux monde étrange/Qui aime les canards/Mais avec des oranges.

Le maire à son adjoint : Sale coup pour la fanfare municipale. Les pauvres et les morts sont égaux. Et encore ! De la cendre dans les urnes. Vous me représenterez à l’inhumation.

Lazare de Marseille : Comme tout le monde le sait - ce n’est plus un secret pour personne -, j’ai été mort pendant trois jours. Lazare, dis-nous, comment c’est là-bas ? Ils voulaient tous me tirer les vers du nez. Motus ! Le Lazare se la cousait. Pas un mot à la reine-mère-vierge ! Tiré des refroidis le Lazare, comme une carte. Lève-toi et démarche ! Un représentant, un commis d’office, le Lazare… La vie, quelle besogne ! Songe et mensonge, la vie ! Les évangiles, nibe ! Le Dabe, nibe ! Nibe ! Nibe ! Des quatre chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, des plages de Galice, des pèlerins, de leur besace, de leur bourdon, ce bâton de deux mètres où pend la calebasse, les journaleux s’en tamponnent le coquillard. Tranquille comme Baptiste. Les chroniqueurs, les articliers, les folliculaires, les pisse-copie, bons à nibe ! Des correspondants de guerre, des envoyés spéciaux, mes anges, par-dessus le marché, j’en ai. L’arme à gauche, la mort dans l’arme. Presse du cœur, presse du… derrière, ô Marthe, ma sœur Marthe ! Tranquille comme Baptiste, je vous dis. Pas un canard au portillon. Avant et après l’éternité… Pas curieux pour deux sous. Païens ! Impies impitoyables ! Pervers ! Fétichistes ! Sadiques ! Voltairiens ! 

Moi : Je vais en savoir des choses.

Un ami de longue date : Toi qui disais qu’un beau tombeau vaut mieux qu’une belle maison parce qu’on reste mort plus longtemps que vivant. Tu le disais…plus…joliment. Que vais-je devenir sans toit…sans toit…sans toiture. Elle est bonne celle-là ! Si l’éternité était plus courte, la vie serait plus longue. Elle est bonne… Les morts ne vieillissent plus, bientôt tu seras beaucoup plus jeune que moi. Elle est…Nom de Dieu ! Putain de merde ! Je ne quitterai pas la terre sans…

Moi : Je suis le Roi de la fève.

Le chrysographe : Il ne marchandait pas sa peau. L’Académie, il s’en moquait comme des Quarante. Des Immortels qui finissent sous six pieds de glaise, c’est fort de café. Le vert mine, vermoulit, vermoule, vermoud. La fin de l’histoire de tous les hommes. De deux morts, il n’a pas choisi la moindre. La Camuse l’aura fauché dans les blés, dans la luzerne, dans la lavande. Il ne laissera que des regrets, j’ai le regret de vous le dire. Il a écrit : Maintenant que j’ai la vie derrière moi, qu’elle est aux trois quarts pleine, je ne suis plus sujet à l’heure, j’ai tout mon temps, l’éternité. Ou encore : Avant que la Mort ne me sape, je me sape à mort. Et ça : Mourir pour la patrie, autant vivre pour le roi de Prusse. Et ça : Que répondre à une question de vie ou de mort ? Il me semble que c’ était hier, et nous voilà.

Hic jacet…Ici gît…

L’accordéoniste du coin de ma rue : Quand la vie va, va pour la java. Je joue pour elle, avec elle et contre elle, elle, la Fossoyeuse. 0n s’en va à petits pas, on n’est pas pressé. Après une journanche aux trav’s, après une neuille d’enfer, une goutte d’Acqua della Toffana. On en passe du temps à avoir peur de la donzelle. Elle est morte, la java ? Non, elle a vécu ! Parfois on se brouille, mais je suis de mèche avec elles, elles, la Java et la Mort. La Java dans son linceul de bal, la Mort dans son fourreau. C’est la java/Les moustach’sdu chat/La barbe à papa/La mouche à grand-père…Oh, la marmaille ! C’est la java/Trou du cul du chat/La bite à papa/Les couill’s à grand-père… Ils s’égaillent, les saligauds !

Le croque-mort : Sous la calotte des cieux, seule la Nettoyeuse est sûre, elle tient ses promesses. Mon pauvre, tu peux lui faire confiance. Le sang se glace dans les veines. Elle te suce jusqu’à la moelle. En poids et en volume, et hop ! Dans le meilleur des cas, des larmes d’argent, une croix, une bénédiction… Tu repasseras pour le panégyrique, pour l’éloge, pour l’oraison, pour les broderies sur les proses de Proserpine, pour les orgues, pour le requiem, pour les grandes pompes ! Je ne mâche pas mes morts, si j’ose dire…Et si nous nous donnions tous le mot pour nous donner la mort. Quelle farce !

Moi : Je me cogne aux portes de l’éternité.

Une p… respectueuse : J’fais la vie, la put’… La vie, la vie… La vie, la vraie, j’l’imagin’, la mort, j’la rêv’. La vie, la grand’, la petit’… La vie, c’est un’ paniqu’ dans un théâtre en feu. C’est m’sieur Sartr’ qu’a dit ça. T’es fait’ pour la philosophie, fille, pour la philosophie, Sophie. Mon paternel avait raison. Pendant qu’le client, l’patient s’démèn’ comme un diablotin, j’pense à Spinoza, à Camus, à Diogène, à Lautrec, à Doisneau, à… J’pense à la mer où c’que j’irai pour en finir. La bicoque à mes viocards… Les deux, partis d’la caiss’. L’amour, la mer, la mort… J’fil’ mon brav’, j’fil’. J’suis pas au rendement, mais tout d’mêm’… On y pass’ra tous. À ton tour paillass’ ! Débarrass’ l’plancher des pouffiass’e ! Ça m’attrist’, mais j’pourrai pas l’accompagner au royaum’ d’Pluton. Ça c’est moch’. Qu’elle idée d’se faire enterrer à Ornans !

Le réveil. Une sonnerie à mettre debout les trépassés de toutes les guerres.

Un train à prendre pour Sète. On m’attendait dans le cimetière marin sur la tombe de Valéry, Paul Valéry.

L’homme est adossé à sa mort, comme le causeur à la cheminée.

Je dévalais. La rampe gémissait.

 

Monsieur, j’ai du courrier… Vous n’avez pas entendu les allées et venues dans l’escalier ? Votre voisin de dessus est mort cette nuit.

 

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -