Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Forum] [Contact e-mail]
Navigation
Les textes publiés dans les Goruriennes sont souvent extraits des livres du catalogue : brochés et ebooks chez Amazon.fr + Lecture intégrale en ligne gratuite sur le site www.patrickcintas.fr
L’Héméron - édition ’amazone’
Précision de la vague - Pascal Leray - à propos de "Vagues" de Patrick Cintas

[E-mail]
 Article publié le 16 avril 2023.

oOo

¡Ay ! ¡Ay ! ¡Tequila !

 

15 nouvelles - genre "polar noir"
broché - 315 pages - 18 euros
éditions non-31
ISBN 978-2493528063 - janvier 2023

Chez votre libraire
En ligne chez Amazon, Decitre...


https://www.editions-non31.fr/

Commençons peut-être par remercier l’éditeur de cet ouvrage. L’auteur aussi, bien sûr, mais l’éditeur nous offre ce plaisir particulier de lire Patrick Cintas hors de son royaume pourtant vaste et ce n’est pas qu’un plaisir mesquin, je crois. La littérature se fait si rare, de nos jours ! Il semble que la plupart de nos auteurs vivants, parmi le monde éditorial classé, aient le même fantasme en partage, celui d’une littérature « Chatgpt ». Patience, mes amis ! Elle est presque déjà opérationnelle et fera sans doute mieux que tout ce qui a été publié – au moins hors du Chasseur abstrait ces vingt ou trente dernières années.

J’exagère. Il y a eu de bonnes choses. J’aimais particulièrement Jean Teulé, qui nous a quittés il y a peu et qui savait narrer, dénuder ses phrases, les dépouiller de toute littérature au besoin. Il n’y a qu’en fuyant la littérature qu’on peut la retrouver. Mais je vais sans doute trop vite. Je n’ai pas lu grand-chose de ce qui se publiait, obtenait des prix plus ou moins prestigieux (jusqu’au Nobel, d’après ce que j’ai entendu). Moi, vous savez, je me suis replié sur mes livres de chevet : ici René Char, là Denis Diderot, ailleurs Gérard de Nerval… Ces auteurs avec lesquels on peut commercer sans fin, qui peuvent nous agacer ou nous reconquérir en l’espace d’une phrase mais dont on peut être convaincu d’une chose : ils ont fait de leur écriture un univers complet, non au sens d’un édifice qu’on concevrait comme une cathédrale mais au sens, beaucoup plus structural quoi qu’on en dise, de la promenade.

On attend d’un auteur qu’il nous promène. Je dis : on. On, c’est peut-être juste je mais c’est un je qui dit on. Il dit on parce qu’il ne peut concevoir que la littérature soit une caisse enregistreuse d’idées ou de représentations conformes à une idéologie quelle qu’elle soit. La littérature est sans doute née le jour où l’on a reconnu qu’un texte avait des propriétés salutaires alors même que l’énoncé était d’un autre temps, exhalant un univers moral sans commune mesure avec la nôtre propre. Diogène Laerce par exemple. Il est curieux de lire Diogène aujourd’hui. Sa vision des choses est précieuse mais personne de nos jours ne rédigerait des notices biographiques comme il le fait. Pourtant Diogène, ce n’est pas de la grande littérature. On peut même dire que ce n’est pas de la littérature du tout mais le fait est que, quand la littérature est en panne, il faut chercher où elle se niche et on a plus de chances de s’y retrouver avec le vieux philosophe qu’avec nos jeunes prix littéraires.

J’ai cité quelques noms illustres parmi ceux qui, l’âge me gagnant, sont devenus pour moi un refuge (« Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant / La vie est variable aussi bien que l’Euripe ») Je serais injuste si je ne citais les merveilleux opuscules métaphysiques de la collection « Gore » de Fleuve noir, collection dirigée en son temps par Juliette Raabe et qui comportent une centaine de titres, parmi lesquels on compte L’autoroute du massacre de Joël Houssin, La massacreuse d’Axelman, Les larvoïdes de Shaun Hutson… Autant d’ouvrages parfois inégaux, truffés de défauts et de stéréotypes de tous ordres mais qui portent en eux cette intention simple, presque naïve, de narration. Je ne m’inquiète pas pour le devenir de ces petites choses. Elles sont si réjouissantes qu’on ne saurait les voir disparaître de sitôt, alors qu’elles existaient à peine à l’époque où elles étaient éditées (de 1985 à 1990 environ).

Ce sont de petits livres salvateurs. Ils n’ont aucunement l’intention de briller par leur phrasé ou la finesse de leur analyse sociale. C’est, en somme, du rock’n’roll (ce qui nous éloigne de Patrick Cintas qui a beaucoup d’autres qualités mais ne relève pas du rock’n’roll à proprement parler, étant plutôt du côté du duende). Ils n’ont pas d’intention littéraire et c’est sans doute ce qui les fait entrer de plain-pied dans la littérature. Alors, rock’n’roll ou duende, pour ce qui nous concerne, c’est un peu égal. C’est notre littérature. C’est un poème qui manque au recueil que j’avais établi en 2013, dans la « série des nôtres ». Il y a notre littérature ! Notre littérature, la nôtre, pas la ! Vôtre, non. Car votre ! Littérature n’est pas de la littérature ! Littérature ! Littérature ! Car ce n’est pas la nôtre, non. Etc. C’est ainsi que fonctionnait le recueil « Les nôtres ». On ne sait pas où commence et où finit le domaine du « nôtre ». Ce n’est pas le sujet. Le sujet, ce serait celui-ci. En 2023, j’ai pu lire avachi dans mon canapé et tout en écoutant des disques de Blue Oyster Cult un recueil de nouvelles qui se lisent comme on boit la tequila frappée. Je n’oublie pas cette nuit des années 1996, 1997 où mon frère a peint la vitrine d’un bar à Pigalle. Nous sommes restés avec lui, nous avons filmé la séquence (qui a duré jusqu’à l’aube). A l’intérieur, les serveuses habillées en cowgirls servaient la tequila en tapant le verre sur la table tout en criant : « Aïe Aïe, tequilaaaa ! » Toute la nuit fut rythmée par ce chant sauvage et d’un érotisme diffus, ce qui peut paraître étrange car le cri était vif, relevait du jaillissement plus que de la caresse mais l’intensité érotique de ce rythme invraisemblablement lancinant (la séance a dû commencer à la tombée de la nuit pour s’achever aux premières lueurs du jour) ne m’apparaît qu’aujourd’hui, soit plus de vingt-cinq ans passés… Mais la frappe ne nous était jamais destinée. Aucun de nous n’eut droit à ce service subtilement érotisé mais d’un mécanisme rigide, à bien y repenser, qui sans doute permettait de dessiner une ligne très claire entre le fantasme et la réalité. Ces filles étaient comme des robots. Aujourd’hui, on ne ferait plus appel à des personnes physiques pour ce genre de job, peut-être. Mais à l’époque, l’exploitation était maximale. Pour les artistes comme pour les serveuses. Il aurait fallu faire quelques pas dans la rue d’à côté, peut-être ? On serait tombés sur des gars comme ceux qui peuplent le recueil de Patrick Cintas, Vagues. Nous-mêmes, on était bien en condition : vagues, flous et vagues parce que nous procédions par vagues successives (de conscience, par exemple) qui ne se souvenaient jamais de ce qui les avait précédées (d’autres vagues, en somme). On se serait embourbés dans d’effroyables embrouilles. Heureusement, il n’en a rien été. Le monde de la nuit n’avait pas besoin de nous et nous, on n’aimait pas les embrouilles.

Pourtant nous sommes tous des personnages de Patrick Cintas. Comme nous sommes tous des personnages d’Andrei Platonov. La déchirure existentielle que représente notre existence entropique, on peut en rapporter l’idée à Sartre mais son dégagement est avant tout la main d’auteurs littéraires. Platonov si peu lu en France a cette vertu à peine dicible de rapporter notre existence personnelle à ce vide sidéral qui menace chaque instant de nos vies. C’est un abîme de conscience qui s’ouvre sous la pellicule fragile d’un discours moulé dans la stéréotypie du dogmatisme socialiste en vogue dans la Russie de l’époque. Le formalisme d’un supposé matérialisme dialectique ouvre la porte du vertige mental, peut-être pas à chaque ligne mais au moins à chaque phrase. Invraisemblable concentré romanesque. Lisez les premières pages de Tchevengour. Il y a peut-être l’équivalent de cinquante romans en une dizaine de pages. Eh bien ! Voilà quelque chose qui nous ramène à l’auteur de Vagues, ce recueil né pour terrifier son lecteur non sans le charmer, puisque très mallarméennement il s’adresse à son intelligence, ce qui en soi est terrifiant. On évite souvent de s’adresser à l’intelligence de nos interlocuteurs, parce que c’est une expérience relativement douloureuse. Comprendre est une contention, d’une certaine façon.

Je ne voudrais pas égarer mon lecteur et lui suggérer que la prose de Patrick Cintas a une allure kantienne, pas du tout. Ces nouvelles, ce sont des shots. Pas loin, il y a une fille qui crie « Aïe aïe tequiiiillaaaa ! », ce qui correspond au laps de temps où vous absorbez les quelques pages d’un récit qui se ferme sur lui-même en laissant entrevoir l’étendue d’une plaine qui (comme dirait René Char) « ne vous laisse rien à penser ». Vagues se lit comme un « Gore », même s’il ne relève pas du genre gore. On pourrait dire qu’il se lit comme un polar mais il n’y a pas de polar aussi hallucinant, bien qu’il y ait des polars réellement hallucinants, ce qui est sans doute lié à la composition chimique du whisky (ce qui nous éloigne de Patrick Cintas, qui à ma connaissance n’a pas de prédilection pour le whisky). L’hallucination va croissant, de nouvelle en nouvelle. Le bien-fondé sensible, moral et même strictement intellectuel des actants se disloque progressivement, pour ressembler en bout de ligne à ce que nous sommes. Des chaos ambulants, bien souvent manipulés et parfois un peu aussi manipulants mais il y a une inégalité fondamentale entre nos esquisses de manipulation et celles de nos donneurs d’ordre : le capital.

 

Voilà. Ce livre ne rejoindra pas, dans ma bibliothèque, une rangée qui de toutes façons n’existe pas, de « littérature contemporaine », par exemple. Il côtoiera mes « Gore » en pagaïe, mes livres de Frédéric Dard (les San Antonio sont restés chez mon père), le Manon Lescaut de ce cher abbé Prévost car je ne renie aucunement le classicisme, voyez-vous ? Je remarque surtout une filiation mécaniste qui irait de ce subtil parodiste de Racine à Patrick Cintas en passant par le vénéré Emile Zola, notre modèle à tous. Je crois que cette filiation, qu’on peut étendre à Frédéric Dard et à Andrei Platonov, a le mérite de nous libérer de la psychologie qui, avec la sociologie, est le poison le plus efficace pour tuer la littérature, au sens où l’on parle de littérature. De notre littérature, peut-être pas de la vôtre. Pas si vous n’avez pas de littérature, par exemple, même si vous croyez avoir quelque chose qui parle de littérature. Il y a votre littérature, qui n’est pas de la littérature. Et puis.…

Pascal Leray
11/04/2023

 

Un commentaire, une critique...?
modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides. Servez-vous de la barre d'outils ci-dessous pour la mise en forme.

Ajouter un document

 

www.patrickcintas.fr

Nouveau - La Trilogie de l'Oge - in progress >>

 

Retour à la RALM Revue d'Art et de Littérature, Musique - Espaces d'auteurs [Contact e-mail]
2004/2024 Revue d'art et de littérature, musique

publiée par Patrick Cintas - pcintas@ral-m.com - 06 62 37 88 76

Copyrights: - Le site: © Patrick CINTAS (webmaster). - Textes, images, musiques: © Les auteurs

 

- Dépôt légal: ISSN 2274-0457 -

- Hébergement: infomaniak.ch -