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L'art et la manière
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 Article publié le 12 février 2023.

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Parler de musique contemporaine, c’est aborder un sujet grave. La poésie remplit un espace insignifiant. La somme des subventions qui s’évaporent en elle peut apparaître problématique en fonction du service rendu mais elle rend surtout compte d’une non-économie. La musique nécessite d’autres moyens. L’enjeu apparaît donc bien plus complexe.

C’est pourquoi la polémique en ce domaine est si différemment structurée de celle qui existe dans le monde des poètes, qui relève, il faut bien le dire, du bac à sable. Nos amis musiciens, quant à eux, sont plus proches de la guerre de position, même si le niveau du débat n’est pas nécessairement plus avancé. Les grands dialoguistes sont morts, paraît-il. Ceci explique sans doute cela.

Pascal Leray, Machina Mundi

 

And so castles made of sand slip into the sea, eventually…

Jimi Hendrix

*

Si je devais trouver une vertu à quelques-uns de mes textes, c’est qu’ils permettent à tout un chacun de se positionner par rapport aux propos qui y sont tenus et qui n’ont évidemment aucune valeur absolue. A chacun de se faire une idée, s’il le désire.

Des choix assumés, éclairés, si amples soient-ils dans leurs implications, parfois inattendues, ne peuvent prétendre épuiser le champ des possibles. 

Ce qui pose la redoutable question de la réception.

Cette question ne se présente pas à l’esprit comme un problème à résoudre, un parmi d’autres ; en elle, se déploie la réalité concrète d’une certaine solitude propre à qui se pique d’écrire.

Le public lettré est fort restreint, et, d’autre part, la concurrence entre écrivains est rude : peu de lecteurs et une pléthore d’écrivains ! Il faut qu’écrire soit bien important pour que tant de personnes s’y essaient ! Il me suffit de parcourir le catalogue d’un éditeur lambda pour être frappé par le nombre considérable de publications offertes à l’attention du public. L’offre excède de beaucoup la capacité de lecture et d’assimilation de quiconque.

Ecrire n’empêche personne d’autre d’écrire à l’heure où une certaine instruction, sommaire certes, permet au grand nombre d’accéder à l’expression écrite. Certains s’imaginent encore que les écrivains s’expriment en leur propre nom…

Faut-il regretter cette inflation de l’écrit qui aboutit à sa quasi-neutralisation ? Je ne le crois pas.

Le seul regret que j’ai, c’est que je pressens que de nombreuses œuvres de grande qualité passent à la trappe, et je ne suis pas sûr que le temps fasse son œuvre en distinguant tôt ou tard ces œuvres de qualité dont je suppute l’existence et qui se trouvent noyées dans la masse livresque que les éditeurs déversent à longueur d’année sur le public.

Nous en sommes là. Les livres sont sans défense, il leur arrive même de brûler dans des autodafés.

Que les bibliothèques brûlent sous les assauts d’une foule en colère, que des autodafés soient organisés ici ou là par des régimes dictatoriaux, c’est une chose, mais voici venu, tout aussi redoutable, le temps du grand n’importe quoi et du relativisme.

Haine, mépris ou indifférence, selon les lieux et les époques.

*

Quelle est et quelle doit être la place des Arts dans la Cité ?

Les poètes cantonnés dans leur bac à sable, pour reprendre la cruelle mais si juste expression de Pascal Leray, les musiciens subventionnés, les écrivains crève-la-faim, tout cela offre un spectacle fort contrasté !

Des peuples sans art et sans fard existent-ils ?

Il semble que le grand souci actuel commun à toutes les nations soit de maintenir un haut niveau d’innovation technologique, afin de conserver un avantage stratégique.

Il n’y en a que pour la technique.

L’art n’a, dans ce contexte technophile, qu’une fonction purement décorative et financière.

En termes de soft power, disons plutôt de rayonnement culturel, les arts populaires se taillent la part du lion outre-Atlantique : bon nombre de nations n’ont rien de comparable à offrir.

Le dynamisme culturel n’est évidemment pas le point fort de pays tels que la Chine ou la Russie. Ces nations pluriethniques se sont construites au fil des siècles, ce ne sont pas des monolithes, contrairement à ce qu’elles voudraient nous faire croire. Des potentialités étouffées ne demandent sans doute qu’à y surgir…

Les cultures européennes, nord-américaines et japonaises, de ce point de vue, offrent une pluralité de faits culturels bien supérieure

L’ancienneté de « grandes civilisations » est un argument souvent brandi ces derniers temps, comme si l’ancienneté était l’alpha et l’oméga de la « grandeur », encore faudrait-il s’entendre sur la valeur à accorder à des faits culturels multimillénaires censés avoir traversé le temps et qui n’existent plus qu’à l’état de reliquats pour spécialistes, le grand public n’étant même plus capable, en Chine communiste, de maîtriser un nombre conséquent de caractères.

La Chine est une illusion rétrospective : il n’y a rien de commun entre la Chine actuelle et la Chine antique. Elle n’a jamais été et ne sera jamais le centre du monde.

L’arrogance chinoise ferait bien de méditer cette réflexion d’Emmanuel Levinas dans son article Ethique et esprit, paru en 1952 dans la revue Evidences et repris dans son livre Difficile liberté  : « Dans l’ordre de l’esprit, les droits à la pension n’existent pas. Seule une actualité brillante peut invoquer sans déchoir ses mérites passés, ou même, s’il le faut, s’en inventer. » La Chine, de ce point de vue, est loin du compte. Cette réflexion de Levinas s’adressait en 1952 à la tradition hébraïque au moins aussi ancienne et vénérable que la tradition chinoise dont on nous rebat les oreilles.

Les peuples qui n’ont laissé ni monuments grandioses ni écrits mémorables sont quantités négligeables aux yeux de celles et ceux qui s’étourdissent à l’évocation de grandeurs passées que l’ont peut retracer parce qu’elles sont laissé des traces.

Je suis foncièrement hostile à ce narcissisme de boutiquier qui ne pense qu’à stocker d’antiques biens culturels pour s’en glorifier. Ceux qui y sont étrangers, de par l’éloignement dans le temps et dans l’espace, sont encore plus ridicules en ce qu’ils s’identifient avec des modèles prestigieux dont ils se prétendent les héritiers spirituels.

Narcissisme ou esprit de soumission, rien de bien glorieux.

Un Mitterrand méprisait les pays baltes, si chers à mon cœur, qui n’étaient pas à ses yeux de grandes nations comparées à la Russie. On sait où mène une telle conception : certains peuples, jugés inférieurs parce qu’ils ne se sont pas constitués en nations puissantes, mériteraient d’être colonisés par les « grands empires », une conception bien vivace dans « l’esprit » d’un Poutine ou d’un Erdogan.

Je n’ai que faire des soi-disant grandes civilisations. Ne m’intéresse que le dynamisme culturel. Laurel Canyon, San Francisco, New York, Londres, Paris, Vienne, Berlin… Voilà des lieux et villes qui ont rayonné à diverses époques et qui valent bien la Grèce antique, Rome ou Pékin !

La démarche artistique d’un Toru Takemitsu, qui fut capable de faire dialoguer en lui la tradition musicale japonaise et l’avant-garde européenne, est un magnifique exemple de dynamisme interculturel : les harmonies de Debussy y conversent avec la grande tradition japonaise, sans que jamais sa musique ne tombe dans les facilités artérielles de la world music.

 

Jean-Michel Guyot

10 février 2023

 

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